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Avers
Dominique Quélen
Dominique Quélen dans Marie-Claire
ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE QUÉLEN
Louise Bottu : Laissez-nous vous dire tout d’abord le plaisir que nous avons à publier Avers.
On peut lire çà et là que vous êtes un poète. Quelle définition donneriez-vous du poète et du poème ?
Dominique Quélen : Je n'attache pas plus d'importance que ça à cette appellation – ou alors j'en attache une absolument. J'ai moins l'impression d'écrire que de bricoler des objets-textes, voire des corps-textes, qui fonctionnent ou dysfonctionnent. Alors poésie, oui, au sens de poiein : faire, fabriquer ; et même – je n'ai rien contre – produire. Au sens où Ponge évoque dans Pour un Malherbe « quelque chose à obtenir, et non quelque chose à exprimer ».
Je pourrais aussi bien, en paraissant accorder à la poésie un plus haut sens (par sens, entendre nature ou fonction), emprunter à Perec (La Vie mode d'emploi) une manière de définition : « ce qui reste quand il ne reste rien ».
Mais ce n'est pas une définition. Que la question se pose pose question. On demande plus rarement à un romancier de définir le roman ; à un dramaturge de dire ce qu'est un dramaturge ; etc.
LB Comme le rappelle Bruno Fern dans la recension qu’il a consacrée à votre ouvrage pour remue.net, l’avers désigne le côté face d’une pièce de monnaie ou d’une médaille. Pourquoi ce titre ?
DQ Le côté face vient en premier ; ce livre est le deuxième de la série : on voit par là que la chronologie des parutions (et même celle de l’écriture) n’est pas celle de la lecture, pour laquelle il n’y a pas d’ordre.
Avers, c’est également, par le privatif, la disparition des vers dans le passage de l’écriture à la lecture. La disposition en prose est une manière de refermer le capot du moteur.
Accessoirement, un rappel de la racine latine du mot oiseau.
LB Avers est un texte en soi. Il n’en constitue pas moins l’un des éléments d’un triptyque. Quels sont les deux autres titres, quand et dans quelle maison d’édition paraîtra le troisième, puisque le premier est déjà paru ?
DQ Basses contraintes est paru fin 2015 au Théâtre Typographique ; le troisième (chronologiquement deuxième) paraîtra en janvier 2018 chez Flammarion ; le titre est encore incertain ; j’avais annoncé Revers, mais il me semble finalement plus logique de l’intituler [wazo], titre de travail du premier volume, puis – dans mon esprit – de l’ensemble.
LB Bien que cela n’apparaisse pas nécessairement à la lecture, ces textes sont à contraintes multiples, et à ce titre auraient pu figurer dans la collection ContraintEs des éditions Louise Bottu. Pouvez-vous nous dire quelques mots à ce sujet ?
DQ Il s'agit de contraintes d'écriture et non de lecture – de là qu'il m'a semblé préférable que le texte ne soit pas publié dans ladite collection. Pour la même raison que le passage du vers à la prose.
L’ensemble est constitué de cent séries de six poèmes siamois, unis deux à deux dans chacun des trois volumes ainsi composés : cent poèmes de quarante vers justifiés (alternativement de quatorze ou quinze signes), ont été écrits chacun à partir d’une phrase de vingt mots, armature ou colonne vertébrale commune, présentée dans chaque poème en acrostiche puis, inversée, en télostiche. Sur la même série de cent phrases, j’ai ensuite écrit cent autres poèmes intercalés tête-bêche. Sur ce dispositif se sont greffées quelques contraintes annexes, dont une ponctuation réduite à trois signes. J’ai organisé là-dedans le peu d’espace libre qui me restait et ai souvent été amené à écrire ce à quoi je ne m’attendais pas, ou d’une manière à laquelle je ne m’attendais pas.
(Quoiqu’il me soit resté peu de liberté, c’était encore assez pour que parvienne à s’y glisser une coquille, p.105. On en laisse toujours. C’est une règle (quasi) inflexible.)
LB Dans la 4ème de couverture il est dit que certains de vos poèmes « servent de matériau à des compositeurs ». De quels compositeurs il s’agit, et vos textes sont-ils alors conçus à cet effet, dans un esprit qui s’accorde au style du compositeur ou bien c’est l’inverse ? Ou l’élaboration se fait-elle différemment, plus "spontanément" par exemple ?
DQ Il s’agit le plus souvent d’Aurélien Dumont. Plus récemment, de Gérard Pesson et de Misato Mochizuki. Avant cela, j’ai eu l’occasion de travailler, dans un genre très différent (celui de la toy music), avec le groupe Klimperei, pour un disque inspiré de l’œuvre de Lewis Carroll.
Une collaboration mêle toujours, à de réelles affinités, d’autres qu’intuitivement on pressent mais qu’on n’explicite pas forcément. Le travail se fait dans cet écart.
Le plus souvent, Aurélien me commande un texte, me fournit quelques indications sur le genre, le ton, la durée de la pièce, etc. Il arrive que le texte connaisse plusieurs versions, ou ne soit finalement pas mis en musique, ou que seuls des passages, des bribes, soient utilisés. Simple matériau, malléable à volonté.
Parfois aussi, mais c’est assez rare, l’idée première vient de moi (et séduit Aurélien si elle se raccroche à ses propres préoccupations), mais jamais comme un texte autonome : il n’y a pas d’exemple, en ce qui me concerne, qu’un texte destiné à la musique ait également fini dans un livre.
LB Vous travaillez donc avec plusieurs musiciens. Votre collaboration avec Aurélien Dumont remonte à 2001. Sur le disque While (NoMadmusic 2015) on relève trois textes de Dominique Quélen. Comment se fait le travail commun ? Cela implique-t-il, par exemple, que vous trouviez sur le même lieu et que vous œuvriez en direct, si l’on peut dire, que la création poétique et musicale se fasse simultanément ?
DQ Comme nous travaillons ensemble (à un rythme variable) depuis une quinzaine d’années à présent, cette collaboration a connu des formes et des ampleurs diverses, depuis la chanson jusqu’à l’opéra.
Sur la question de la méthode, déjà évoquée plus haut, je me permets de renvoyer par anticipation à un article commun qui paraîtra en mars prochain dans un n° de la Revue des Sciences Humaines consacré aux rapports qu’entretiennent la musique et la poésie contemporaines.
LB Vous étiez récemment en résidence. Quel travail y avez-vous effectué ? Est-il achevé ? Si oui sur quoi travaillez-vous actuellement ?
DQ À chaque résidence son profil et ses modalités : à La Tour d’Aigues, en janvier, Les Nouvelles Hybrides m’ont donné l’occasion d'un atelier d’écriture avec des élèves de lycée. À Bourges ensuite, avec les Mille Univers, c’étaient des élèves d’écoles primaires, des résidents d’une maison de retraite et des détenus de la maison d’arrêt. Point d’orgue : D’ici là, un spectacle musical écrit avec des habitants de Bourges, de Tours et le compositeur Loïc Guénin qui y était en résidence avec Livre Passerelle, et représenté aux Futurs de l’Écrit, à l’abbaye de Noirlac, en juin.
LB Quels sont vos projets d’écriture ?
DQ J’ai entamé pendant ces résidences un texte dont le titre provisoire est La Gestion des espaces communs, dans lequel j’avance par à-coups, sans trop savoir encore où je vais ni quand j’en aurai fini…
Un autre livre s’écrit à un rythme hebdomadaire, à quatre mains, avec Florence Emptaz. Celui-ci du moins, compte tenu des contraintes que nous nous sommes fixées, sera terminé à la fin de l’année.
LB Hyacinthe-Louis de Quélen, archevêque de Paris au XIXème siècle, a partie liée avec deux médailles : celle de la Médaille miraculeuse dont il autorisa la frappe, et celle de Jean-Jacques Barre sur l’avers de laquelle figure son effigie. Cela vous inspire-t-il un commentaire ?
DQ Cela devrait, à coup sûr, mais je ne sais pas lequel.
De Mgr de Quélen, qui dans Les Misérables n’est pas insensible aux charmes et à la fraîcheur de Mlle Bouchard, jeune pensionnaire du couvent du Petit Picpus, la postérité (enfin, tout est relatif) a retenu cette phrase prudhommesque prononcée en chaire : « Non seulement Jésus-Christ était fils de Dieu, mais encore il était d’excellente famille du côté de sa mère. »
Aucun lien de parenté avec ce monsieur (j’aurais aimé pouvoir en dire autant en parlant de mon père).
Archibald Ploom a lu "Avers" pour Culture chronique
Bruno Fern a lu "Avers" pour remue.net
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