revue de presse
Petites vies...
Pierre Vinclair a lu "Petites vies..."
En publiant ses Petites vies d’écrivains du XXe siècle (chez Louise Bottu), Antoine Brea refait le portrait de quelques-uns de ses aînés maudits : dix prosateurs qui sentent le souffre.
Il en redonne, à chaque fois, la vie et l’oeuvre ensemble : contre la distinction (confortable, trop confortable) du Céline-écrivain-génial-du-Voyage et du Céline-salopard-antisémite-des-pamphlets, Antoine Brea réécrit par exemple la biblio de Louis-Ferdinand en lui attribuant un Voyage au bout de l’antisémitisme (p. 48). Outre l’anecdote, ce parti pris d’affirmer l’indissoluble solidarité de la construction de l’homme et de son écriture ("temporairement soigné, Duvert rampe vers l’adolescence / où sa vie sexuelle s’eveille néanmoins tout doucement à l’écriture" (p. 58)) tire absolument ces "petites vies" du bourbier de la psychologie : c’est à chaque fois d’une écriture (entendue comme le geste par où l’homme et l’oeuvre passent l’un dans l’autre) que Brea retrace le destin poétiquement. Dès lors, on ne distinguera plus les raisons, littéraire ou morale, pour lesquels ces auteurs partagent d’être élus par Bréa : il est un plan où le scandale stylistique attente aux moeurs ; un plan où le péché, réciproquement, tient au dérèglement de la longueur des phrases.
Ce plan, c’est celui que déploient les versets souples du livre de Brea. Le parrallèle, souligné par la quatrième de couverture, avec l’hagiographie médiévale, est donc bien l’une des clés du texte : pour l’équilibriste, qu’est l’écrivain contemporain, traversant les abîmes du postmoderne sur fil dentaire (manquant à chaque instant de rompre), la littérature remplace le Verbe comme "éthique du style" – c’est-à-dire écart dans l’usage des signes d’où peut émerger la valeur. Pour qui s’y risque en solitaire, on comprend la nécessité d’identifier dans les rayons des librairies ces maîtres scandeurs scandaleux : emblèmes d’un monde revenu de tout, ils s’acharnent pourtant à en recréer le sens. Ce sont les dieux minables mais géniaux du paganisme qu’est la pratique de littérature. De là, l’importance du nom propre dans ces minuscules gestes : Hamsun n’est pas le nom de Pedersen (p. 25), Mark Levi s’appelle Aguéev (p. 33) voire Mark Lévi (p. 34), Céline se choisit "un nom de bonne femme" (p. 42), Tony Duvert devient Dubleu (p. 58) puis Dupâle (p. 62), Bataille ne fut pas un nom de guerre (p. 69), Louÿs multiplie les pseudonymes (p. 81).
Comme d’autres livres d’aujourd’hui, on peut lire de deux façons les notices biographiques de ce panthéon littéraire : en admirant l’art de leur auteur, son sens du rythme et de la formule, en admettant, ou en déplorant ses jeux de mots, en notant l’ironie – en se gardant de croire à ce qui est écrit. En le classant dans la catégorie inoffensive de la "fiction". On peut aussi tout oublier, l’auteur, les arts, l’école et les postures, et se demander de quel rapport au monde troublé ces dix portraits, si l’on doit les prendre au sérieux, sont le symptôme – ou mieux l’opérateur : ce que les phrases veulent nous faire (et nous faire faire) en se prenant les pieds, dans les noms, les titres et les citations ; quelle est cette énergie qui anime la machine que l’on tient dans les mains. C’est la littérature, justement : comme éthique – c’est-à-dire comme folie.
Pierre Vinclair
Dix petites vies d’Antoine Brea, 8 octobre 2013
Denise Labouche a lu "Petites vies..."
D'un Petit l'autre : le Petit célinien se fait l'écho des Petites vies... (17/09/2013)
Didier da Silva a lu "Petites vies..."
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J’ai lu ensuite sans transition L’Uchronie d’un certain Henriet, sorte de Que sais-je interminable et d’un intérêt médiocre, mais comique à force de scolarisme et de geekitude, qu’Emmanuel Carrère a été bien bon de préfacer, lui qui il y a trente ans avait rendu le sujet délectable dans son magistral Détroit de Behring. Si c’était moi qui m’occupais de décerner les Goncourt de la biographie, ce qui ma foi est uchroniquement envisageable (quoique j’aie du mal à discerner où pourrait se situer le « point de divergence » rendant possible cette « réalité alternée »), j’en attribuerais volontiers un au plaisant panthéon portatif qu’Antoine Brea vient de faire paraître sous le titre de Petites vies d’écrivains du XXe siècle. Ces dix très brefs poèmes biographiques excellent dans le précipité, par exemple :
Temporairement soigné, Duvert rampe vers l’adolescence
Où sa vie sexuelle s’éveille néanmoins tout doucement à l’écriture
Il cochonne d’abord comme tout le monde quelques poèmes entre ses doigts
Sa vie sexuelle s’éveille à l’écriture, on conviendra que tout est dit. La Petite vie de Tony Duvert est d’ailleurs l’une des meilleures du recueil, avec celles de Pierre Louÿs et de C.-F. Ramuz — peut-être parce que ces écrivains-là ne sont pas du goût de tout le monde, et que l’ironie cassante de l’auteur, revers pudique de ses adorations, s’exerce depuis une connaissance intime, un peu secrète ; rien d’étonnant dès lors si son Céline et son Kafka me convainquent moins, ces sacrés monstres ayant depuis longtemps supporté tout et son contraire.
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Romain Verger a lu "Petites vies..." d'Antoine Brea
Avec ce nouveau recueil, Antoine Brea rend hommage à dix auteurs du XXe siècle, et ce sont autant d’exercices d’admiration et de malicieuse irrévérence. S’y dessinent bien sûr les affinités du poète pour les écrivains de l’infraction et de l’effraction, qu’elles soient morale (Burroughs, Bataille), ou stylistique (Céline et Ramuz), il ressuscite les sulfureux tombés dans l’oubli (Duvert), les énigmes littéraires incarnées ici en M. Aguéev, ou bien encore les monstres de l’étrange et de l’absurde comme Kafka...
Si elles sont petites par leur taille (chaque vie est brossée en quelques pages), elles le sont aussi dans la façon dont le poète les traite : des vies rendues comiques et dérisoires, prises dans un tourbillon existentiel où l’on meurt et ressuscite indéfiniment, au gré des succès, des reconnaissances ou de l’oubli des lecteurs. Des vies tirées à grands traits cinglants qui n’en laissent pas moins la place à des arrêts sur vie où Brea s’amuse à romancer, captant l’émotion d’un moment réinventé, comme il le fait ici avec Knut Hamsun :
"Si dehors il fait beau, les infirmières lui sourient, soutiennent son bras, échancrent leur corsage
Mais il fuit le soleil, car ses cheveux trop rapidement flamboient
Parfois la visite d’un officiel ou d’un notaire pour des raisons de droits, de curatelle — il tend ici un pan de robe de chambre pour qu’on lui baise, mais ce geste de vieux Nobel n’est plus compris”
En quelques mots, Brea épingle l’essentiel d’une œuvre ou d’une vie : ainsi des romans ou poèmes de William S. Burroughs "dont la structure est toujours un peu celle d’une balle qui ressort du crâne écarlate", des écrits de Ramuz ("sous sa plume les mots bleuissent comme après un coup de poing"), ou de Bukowski : "À 25 ans, il s’enivre à tout jamais et sa vie n’est plus qu’une grosse flaque d’écriture".
Que la vie d’un auteur doive s’effacer devant son œuvre, le poète s’en moque bien, s’amusant même dans le cas de Kafka à le confondre avec Gregor Samsa :
"Franz Kafka respire mal, souffle fort, la médication trop concentrée d’un médecin de campagne (Landarrzt) lui éveille des effets secondaires, des élytres lui viennent avec une cuirasse d’insecte, il souffre et ne se nourrit plus (Hungerkünstler), mais il est discret, son éducation juive lui défend d’indisposer ses parents ou ses sœurs par du bruit ou des cris”.
Ces Petites vies sont souvent drôles, car Brea les aménage à sa guise (tout en en respectant les plus grandes lignes), il détourne les citations, invente tout bonnement des fragments de correspondances, réécrit les bibliographies, modifie les titres, gâtant tel ou tel auteur de quelques œuvres inédites, et en affuble certains de toutes sortes de pseudonymes : Tony Duvert devenant ainsi Tony Dubleu, Dubleu le Terrible, René l’Exécrable, Tony Dupâle. C’est parfois facile, parfois potache, souvent subtil, et l’on sourit de l’esprit loufoque qui dépoussière ces figures littéraires : "On dit de lui qu’il aurait pu être professeur de langues, parce que la langue est l’organe du toucher chez certains prédateurs" (il s’agit ici de M. Aguéev). Tel encore de la rupture de Bataille avec le Surréalisme, qui résume finalement avec beaucoup de justesse l’intransigeance sectaire de Breton (dont Queneau se moquait dans son roman Odile) : "La rupture épistémologique est définitive : Georges Bataille est mis au ban du mouvement surréaliste sous prétexte d’insuffisance pulmonaire".
Finalement, comme Brea, l’écrivain ne se fait-il pas de ses maîtres une sorte de mythe personnel, revu et revisité, où l’écriture et l’existence finissent par se confondre en une fiction dont il fera son miel?
Romain Verger
Antoine Brea / Petites vies d’écrivains du XXe siècle / 2013.
Noemi Lefevre a lu "Petites vies..." d'Antoine Brea
Petites vies/17 août 2013 | Par noemi lefebvre
Sire, c'est ancor Antoine Brea, uns chevaliers preuz et hardiz qui de Crestiens de Troyes la bone semance en neuve langue sur son blog traduit et tout en même temps chez Louise Bottu espand un livre unique en plusieurs exemplaires.
Tandis que oisel an lor latin dolcemant chantent au matin , y fet une istorie à sa manière libre et véritable de petites vies d’écrivains du vingtième siècle, sacrilégeant ainsi doublement les custumes.
Le poète épris d’oiseux amusements humilie l’home sous Dieu, fesant petites les vies de vaillans littérateurs tandis qu’elles doivent estre distes extraordinaires même quand ce ne sont que faits abhominables, ainsi du grand Guillaume Musso le conquérant des surfaces de vente ne dit mot ici, tandis que de Mark Levi annonce qu’il fut Agueev et point Nabokov épris de cocaïne,
Ou tot le contreire, li chevaliers Brea torne de malvais vallez aux vies inexemplaires en saints homes d’écritures. Ainsi raconte les beates aventures de William S.Burroughs lequel fut, après helvétique tir sur teste de dame par dessous pome, puis absorbtions de yagé et moult altres substances introuvables au drugstore, nourri d’apomorphine.
De Bukowski redit les folies abreuvées d’ordinaire, de Tony Duvert conte luinz de l’esteile de mi nuit la piteuse solitude, écrit une petite vie de Louis-Ferdinand Céline et une de Knut Hamsun, marchant droit au nord vers le côté obscur de la race supérieure.
Nostre chevaliers encor s’en va livrer Bataille contre Breton, s’amuse avec Ramuz, joït avec Pierre Louÿs, multiplie les amis de Kafka par un seul.
Quoi de plus estrange et bel que de mescler ensi le tens au temps ?
Antoine Brea, Petites vies d'écrivains du XXe siècle, poèmes biographiques
Louise Bottu, Mugron, juillet 2013, 92 pages
Philippe Chauché a lu "Petites vies..." d'Antoine Brea
Mais de quoi parlent-ils ?
dimanche 18 août 2013
A bien y regarder on peut douter de l'existence réelle d'Antoine Brea, comme d'ailleurs de celle de son éditeur " Louise Bottu ", l'un comme l'autre n'apparaissent dans aucun dictionnaire de " La cuisine en un Tour de Main ", ni d'ailleurs dans les mille brochures illustrées qui se distribuent l'été dans les rues des cités balnéaires et qui vantent les mérites des bains de soleil nocturnes, de la musique burlesque, du cinéma en plein air, ou encore des astuces pour conserver longtemps les grains de sables collés à la peau de son dos au sortir de l'eau, cela dit à bien y regarder, mais à bien se pencher sur ce phénomène estival, on peut toutefois en tirer deux ou trois constats :
- Antoine Brea est bien né
- Les Editions Louise Bottu ont bien un imprimeur
[... ...]
Etc, etc, etc, et c'est ainsi que le deviné Brea écrit, et c'est ainsi aussi que le démasqué Louise Bottu publie, les amateurs de biographies d'écrivains vont s'amuser ( quoique ! ), et vérifier que les seules visites aux vies d'écrivains qui méritent attention sont celles qui viennent justement d'écrivains amusés qui savent, amusement suprême, que le vrai est une ponctuation du faux et le faux un acte manqué du vrai.